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Rares ceux qui échappèrent à la guerre – Frédéric PAULIN

Marcel Fontaine, Marcel Carton, puis Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat, et enfin Philippe Rochot et Jean-Louis Normandin. Vous vous souvenez sans doute de ces noms d’otages français au Liban égrenés chaque soir pendant des mois.

Ce second volet de la trilogie de l’auteur sur la guerre du Liban, j’ai recroisé ces noms et certains souvenirs sont revenus. Et ce fut le choc de découvrir que ces deux diplomates puis ces journalistes français avaient été enlevés par le Hezbollah, lui-même à la solde de l’Iran.

Découvrir que si le chef des preneur d’otages croit en la révolution islamique (en étant plus anti-israel que pro-Khomeini), ses subordonnés chargés de garder les otages sont uniquement là pour leur paye.

Découvrir qu’en contrepartie des otages, l’Iran veut toujours le remboursement de la dette Eurodif (voir tome précédent), mais aussi la libération d’Anis Naccache, et le même nombre d’armes et au même prix que la France fourni à l’Irak.

Découvrir que cette affaire des otages arrive en pleine période des législatives que Mitterrand passera à un vote à la proportionnelle, et que Droite et Gauche ne souhaitent pas la libération des dits otages au même moment.

Découvrir que Droite et Gauche française négocient chacune avec Téhéran, mais que les iraniens se fichent bien d’eux car ils ont les cartes en main.

Et comme si cela ne suffisait pas, des attentats ont lieu sur le sol français : Action Directe ou Hezbollah ? ou AD au service de l’Iran ?

Bref, comme le répètent les personnages du roman, tout ceci est un beau merdier qui fait couler le sang et souffrir des prisonniers (Michel Seurat décède de son cancer au pancréas sans soin), pour une histoire de gros sous et de promesse non tenue.

Apparait aussi dans ces pages le fiasco du Rainbow Warrior (l’opération Satanique de son nom de code) ; la cellule antiterroriste de l’Elysée parce que Mitterrand n’a jamais fait confiance à la DGSE ; les cigarettes Cedar.

On apprend aussi que la guerre au Liban génère son économie, ses strates sociales et politiques.

On apprend que Vevak est le nom du service secret iranien.

On apprend l’enlèvement de 4 diplomates soviétiques afin que Moscou fasse pression sur Damas. Réponse du KGB : ils enlèvent un religieux chiite, le découpent en morceaux et le renvoient dans une valise au QG du Hezbollah (p.244).

J’ai aimé apprendre que Michel Seurat travaillait pour le CERMOC (actuelle Ifop) et avait démontré que les communautés libanaises s’affrontent pour la défense de leur territoire, pas pour la religion.

Et je ne vous parle pas de la société Luchaire, de Charles Hernu ou de Jacques Chirac : je vous laisse découvrir les arcanes de ce jeu sanglant qui se joue à l’échelle internationale.

J’ai aimé retrouvé dans ces pages Kellermann et Dixneuf ; la juge Sandra qui vient d’accoucher de jumeaux et dont le compagnon, Caillaux, est commissaire de police sur l’affaier Action Directe ; Zia qui a de plus en plus de mal à faire entendre raison à son amant qui détient les otages français ; le patriarche Nada qui voit sa famille se déliter et sa femme sombrer dans la dépression.

Vous l’aurez compris, ce fut encore une lecture enrichissante et un peu dégoûtante aussi : business as usual.

Un détail : aucune faute d’impression, encore une fois. L’auteur fait preuve là aussi d’une précision remarquable.

Une citation :

les otages ne sont que des produits comme les autres, des produits qui ne se négocient plus sur un marché économique ou financier, mais sur un marché politique qui, à bien y réfléchir, englobe même l’économie et le financier. (p.231)

L’image que je retiendrai :

Celle de la ville défigurée par une guerre qui la dépasse.

Je remercie Inès des éditions Agullo pour sa confiance et l’envoi de ce roman en avant-première : je ne me lasse pas de la plume de Frédéric PAULIN

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