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Le Chant du prophète – Paul LYNCH

Ca commence avec l’arrestation du professeur syndicaliste Larry Stack, comme dans le poème de Martin Niemöller.

D’entrée de jeu, nous sommes plongés dans un état Irlandais totalitaire qui étouffe toute contestation.

La disparition de son mari laisse Eilish seule avec son fils aîné Mark, sa fille Molly et son troisième Bailey, son bébé Ben dans les bras, son père Simon atteint d’Alzheimer à l’autre bout de la ville.

Sa soeur Aine qui habite au Canada lui propose de fuir, mais Eilish refuse, attendant son mari.

Elle n’attend pas les bras croisés, cette mère désespérée qui se fait bientôt virer de son travail : il faut nourrir la famille et les prix sont multipliés par 30, le marché noir renait de ses cendres.

J’ai eu un peu de mal au début avec la temporalité : dans un même paragraphe le personnage peut se retrouver d’une phrase à l’autre quelques heures plus tard à un endroit différent, contractant le temps.

L’auteur nous parle des mécanismes mis en oeuvre par le parti au pouvoir dont on ne saura jamais le nom pour assoir son autorité : création d’un ennemi et poursuite de celui-ci.

J’ai aimé que Molly attache un ruban blanc chaque dimanche depuis la disparition de son père sur le cerisier du jardin. Le blanc deviendra la couleur de la rébellion.

Je n’ai pas aimé qu’avec l’arrestation de son mari, les émotions d’Eilish entrent dans la maison telles une vraie personne, comme si son habitat n’était plus un rempart contre ce qu’il se passe à l’extérieur.

J’ai aimé le leitmotiv des chaussures trop petites de Bailey qui montre combien sa mère est dépassée par les événements.

J’ai eu de la peine pour son amie Caroll dont le mari a lui aussi disparu et qui cuisine des desserts à ne plus savoir qu’en faire pour conjurer le vide laissé par l’absent.

J’ai aimé les leitmotivs des pantoufles que Larry ne met plus, du vélo que Mark rentrait dans la maison.

J’ai aimé les couleurs bleues et jaunes qui parsèment le roman, y voyant les couleurs du drapeau ukrainien.

J’ai aimé que Bailey appelle les mensonges d’état « le ver », qu’il y soit sensible à un moment lui aussi : choisir son camp n’est jamais chose facile.

Tout au long de ma lecture, je me suis demandée quel était ce Chant du prophète. L’explication vient dans les dernières pages : un chant identique répété de siècle en siècle, le tranchant de l’épée, le monde dévoré par les flammes, le soleil qui sombre en plein midi… (p.288)

Un grand roman sur les mères qui se débattront toujours pour sauver leurs enfants, loin des Grands Guerriers Courageux. Leur courage à elles reste dans le registre silencieux de l’Histoire.

Quelques citations :

comme méthode, ils te prennent quelque chose et ils le remplacent par le silence, et toi tu ne vis plus,, tu es constamment face à ce silence, tu  n’es plus qu’une chose confrontée à ce silence, une chose qui attend que ce silence s’achève (…) (p.160)

l’histoire est le registre silencieux de ceux qui n’ont pas su partir à temps (p.179)

consciente d’être malhonnête envers ses enfants, malhonnête et inutile, elle n’a ni secours ni consolation à leur offrir, seulement des mensongers (p.212)

L’image que je retiendrai :

Celle des check-points sur les rues qui ne facilitent pas les déplacements d’Eilish entre ses jeunes enfants et son père.

Albin Michel, 2 janvier 2025, 304 pages

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