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Gomorra : Dans l’empire de la camorra – Roberto SAVIANO

C’est parce que nous allons bientôt visiter Naples que je me lance enfin dans cette lecture. Avec toujours cette question : pourquoi Gomorra ?

Ce n’est pas le nom d’un petit village de l’arrière-pays napolitain dans lequel vivent discrètement les parrains. C’est, je l’apprendrai dans ces pages, en référence au Gomorrhe de la Bible (excusez du peu), lieu de débauche et de dépravation.

Disons-le tout de suite : c’est mal rédigé dans le sens où l’auteur passe parfois du coq à l’âne au détour d’une phrase.

D’une phrase à l’autre, il peut passer d’une réflexion de fond généraliste à l’histoire particulière d’un clan ou d’un chef.

Je n’ai pas retenu tous les noms des protagonistes, à part Sandokan qui avait les unes des journaux ; ni tous les noms des villages, mais j’ai découvert l’étendu de ce système ultra-libéral dans lequel seul compte le profit.

Alors oui, nous avons entendu parler du trafic de drogue mais aussi du scandale des déchets toxiques, de la vente d’armes illicite, mais bien moins des accointances avec la mode milanaise qui fait réaliser à très bas coût ses modèles pour les revendre une fortune.

J’ai appris qu’à ce jour, aucune femme dirigeant un clan de la camorra ne s’est encore repentie. Jamais. (p.170)

Que pour faire tester leur coupe de drogue, les petites mains se rendent sur une place bien précise et offre des seringues aux drogués. S’ils survivent, c’est que la drogue est bien coupée.

J’ai aimé les pointes d’humour : pour évaluer la situation des droits de l’homme, les analystes examinent le prix auquel est vendue la kalachnikov : moins elle est chère et plus les droits de l’homme sont bafoués. (p.201) Et comme la camorra, qui déteint une part importante du marché international des armes, fixe le prix des Kalachnikov, c’est elle l’instance qui évalue indirectement l’état de santé des droits d el’homme dans le monde occidental…

J’ai appris avec horreur que l’Italie était le pays de la « finance créative » où le délit de falsification de bilan a été dépénalisé. (p.220)

Lorsqu’ils sont en prison, les chefs ne dévoilent qu’une partie de leur empire, afin que le business puisse continuer. Et chaque arrestation, chaque maxi-procès est surtout une façon de renouveler les chefs, d’interrompre des phases, plutôt qu’une action susceptible de détruire le système. (p.226)

J’ai découvert le « Je sais » de Pasolini, longue lettre dans laquelle il écrivait savoir qui était derrière les attentats et les coups d’état, et qui lui valu d’être assassiné.

J’ai découvert le courage du père Diana qui osa écrire que la mafia n’était pas digne du catholicisme et qui le paya de sa vie. L’auteur fait de cet acte le début de la prise de parole qu’il continue avec ce livre.

La camorra élargit ses investissements à l’étranger : la Costa del Sol bétonnée grâce aux entreprises des parrains, mais aussi Aberdeen où les jeunes napolitains peuvent trouver facilement du travail.

Bref, une lecture passionnante et instructive sur un système qui ne sera plus aussi opaque pour moi.

Quelques citations :

Avoir conscience d’être des hommes d’affaires condamnés à disparaître – la mort ou la prison à perpétuité – mais animés par la volonté implacable de fonder des empires puissants et sans frontières. Le parrain peut être tué ou arrêté, mais l’organisation économique qu’il a bâti demeure. (p.129)

… le ghetto de l’Europe, la misère absolue. S’ils étaient parvenus à ne ps s’enfuir en courant, ils auraient compris qu’ils avaient devant eux les piliers de l’économie, la mine d’or cachée, les ténèbres où le coeur puissant du marché puise son énergie. (p.139)

De fait, le nombre de balles qu’on reçoit indique quel traitement on mérite. Sion prend une balle dans la tête ou dans le ventre, c’est un meurtre délicat, un geste nécessaire, chirurgical, sans rancune. Mais si le véhicule qu’on conduit est la cible de deux cents projectiles et qu’on est criblé de quarante balles, cela indique la volonté farouche d’effacer quelqu’un de la surface du globe. (p.182)

L’image que je retiendrai :

Celle de la villa à la Scarface d’un des parrain dans laquelle l’auteur a pu s’introduire une fois le propriétaire en prison et qui est la réplique exacte de celle du film.

Lu sur Liselotte

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